Durabilité, stratégie de développement, viabilité financière, Olivier Jankovec, directeur général ACI Europe, évoque l'avenir des aéroports européens.   

Comment évaluez-vous la capacité des aéroports à intégrer la thématique de durabilité dans leur stratégie de développement ?

Olivier Jankovec : Les aéroports font preuve de beaucoup de prévoyance en termes de gestion du climat et d'action pour le climat. En fait, nous avons commencé à travailler très concrètement sur la réduction des émissions de carbone dès 2009, à l'époque où ce n'était pas une priorité comme c'est le cas aujourd'hui. Les aéroports sont ancrés dans leur territoire. La gestion environnementale fait partie intégrante de leur gestion depuis des décennies déjà, car les aéroports doivent être de bons voisins. 

Il est intéressant de souligner l’apport de la connectivité aérienne à l'économie. Chaque augmentation de plus de 10 % de la connectivité directe entraîne une augmentation de 0,5 % du PIB par habitant. Mais en même temps, nous devons nous assurer que ces impacts positifs sont également en équilibre avec notre impact sur l'environnement au sens large. Les aéroports ont commencé à travailler sur l'action climatique bien avant la sollicitation de la société, des décideurs politiques et des régulateurs. En ce moment, les ambitions sont très élevées, car en 2019 les aéroports européens se sont engagés à atteindre le net zéro d'ici 2050, une initiative approuvée par les aéroports du monde en 2021.

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La pandémie de Covid-19 a-t-elle freiné cet élan « vert » ? 

O.J. : La Covid-19 a eu un impact sévère sur le trafic et les revenus des aéroports européens. Ces derniers ont d’ailleurs reçu beaucoup moins de soutiens financiers que certaines compagnies aériennes : 38 milliards d'euros d’aides directes des États pour les compagnies européennes contre moins de 5 milliards d’euros pour les aéroports du continent. La dette et les passifs des aéroports européens sont aujourd'hui supérieurs de 60 milliards d'euros par rapport à 2019. Nous allons donc devoir rembourser. Cela signifie qu'une part beaucoup plus importante de nos revenus futurs devra être consacrée au financement de cette dette. Nous aurons donc moins d'argent disponible à allouer aux investissements. 

La grande inquiétude pour les aéroports en Europe est de trouver les moyens de restaurer leur capacité à investir dans l'avenir.

Quels sont les principaux défis auxquels sont confrontés les aéroports en Europe dans l’ère postpandémique ? 

O.J. : La priorité est bien sûr de rétablir les opérations pour offrir des services de qualité à nos passagers et à nos compagnies aériennes. Tous les partenaires de l'écosystème de l'aviation ont été confrontés à de graves pénuries de personnel. La situation s'est beaucoup améliorée. Les aéroports ont travaillé en étroite collaboration avec leurs partenaires opérationnels pour résoudre le problème.

Le recrutement se poursuit et la main d’œuvre arrive. Les aéroports et les manutentionnaires en particulier ont dû revoir les salaires et les conditions de travail. Cela fait donc grimper les coûts. Mais nous n'avons pas d'autres choix.

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Le contexte géopolitique et économique marqué par une inflation galopante n’est pas sans conséquence. Les billets augmentent. Dans un tel scénario comment trouver l'équilibre entre durabilité, innovation et viabilité financière ?


O.J : La difficulté pour les aéroports à l'heure actuelle est de relever des défis opérationnels immédiats, tout en se focalisant sur les défis de long terme et en particulier, la durabilité et la décarbonation dans un contexte où nous avons une dette très lourde.

Alors, comment allons-nous restaurer nos capacités de génération de revenus pour pouvoir financer nos futurs investissements ? C'est une question cruciale qui n’interpelle pas les régulateurs en général, car il y a beaucoup de pression pour que les aéroports maintiennent, voire réduisent, leurs redevances au niveau actuel. Pourtant, des compagnies aériennes augmentent leurs tarifs et elles semblent en avoir le droit…

Quel serait l’appel d'ACI Europe envers les régulateurs ?

O.J. : Nous travaillons beaucoup avec les régulateurs. ACI Europe s’est engagée auprès du Forum des régulateurs européens de Thessalonique. Nous avons réussi à obtenir une ligne directrice qui reconnaît qu'il est légitime pour les aéroports de récupérer, au moyen de l'augmentation des redevances, une partie de leurs pertes liées à la crise sanitaire. C'est un signal très important. Mais dans le même temps, nous constatons que cette ligne directrice n’est pas nécessairement mise en œuvre. Ainsi, nous poursuivons nos discussions avec les régulateurs.

Mais il est clair que les redevances aéroportuaires constituent un défi majeur. Elles devront nécessairement augmenter non seulement à cause du Covid-19, mais également parce que nous sommes à présent confrontés à d'énormes pressions inflationnistes, en particulier pour ce qui concerne l'énergie et le personnel qui représentent 45 % des coûts d’exploitation des aéroports. 

Pensez-vous que la collaboration pourrait être une solution au sein de la communauté aéroportuaire à l'échelle mondiale ?

O.J : Les décideurs politiques et les régulateurs doivent aider les aéroports à générer les revenus dont ils ont besoin pour continuer leurs investissements futurs. Et c'est clair qu'on avance, surtout en Europe. Il y aura moins d'investissements dans la capacité par rapport aux 20 ou 30 dernières années, car nous savons que la croissance du trafic sera plus modérée à l'avenir pour un certain nombre de raisons. Mais nous aurons encore énormément besoin d'investir dans la numérisation et la durabilité.

Les aéroports devront adapter leur infrastructure pour accueillir des sources d'énergie alternatives comme les SAF et l'hydrogène pour respecter le calendrier d'Airbus par exemple ?

O.J : Les SAF ne nécessiteraient pas de changements majeurs dans l'infrastructure carburant des aéroports. Mais l'hydrogène requiert une approche complètement différente. C'est pourquoi ACI Europe travaille en étroite collaboration avec le constructeur Airbus avec qui nous avons conclu un protocole de coopération en juin dernier. Nous collaborons notamment sur les impacts des avions du futur sur les aéroports, particulièrement sur la question de leur alimentation. Il s’agit d’établir comment les aéroports peuvent jouer un rôle de facilitateurs en matière de production et de déploiement des nouvelles énergies.

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O.J : Nous avons besoin d'une approche globale pour trouver des solutions adaptées et nous n'en sommes clairement pas encore là. L'objectif ambitieux à long terme de zéro émission nette d'ici 2050, adopté par l'OACI, est la condition préalable pour commencer à travailler sur ce sujet. C'est un signal politique très important. Mais bien sûr, ce n'est pas un engagement ferme de la part des États de l'OACI. Ainsi, ACI Monde et ses branches régionales vont faire pression sur l'OACI et ses États afin de concevoir une feuille de route et un plan d’actions pour un déploiement au niveau mondial, tout en permettant à chacun d’avancer à son rythme. Il s’agit donc, d’une part, de renforcer la flexibilité et reconnaître que les marchés émergents devront d'abord travailler plus activement, et d’autre part de définir un cadre de financement dans les pays en développement.

Pensez-vous que l'Europe sera en mesure d'atteindre cet objectif avant 2050 ?

O.J : L'Europe trace maintenant la voie à suivre grâce au paquet législatif Fit for 55 qui comprend des mandats pour le développement d'un carburant d'aviation durable selon lequel les compagnies aériennes commenceront à incorporer de SAF à partir de 2025 et jusqu'à 63 % d'ici 2050.

Parmi les autres avancées, nous disposons de la révision des systèmes d'échange de quotas d'émission de l'UE qui prévoit l’utilisation par les compagnies aériennes des quotas gratuits pour les ATS, ce qui signifie qu'elles devront payer plus pour le carbone qu'elles émettent. Il y a également un règlement obligeant les aéroports à déployer de l'électricité pour les aéronefs à l'arrêt ainsi que, potentiellement, une taxe sur le kérosène. Tous ces éléments sont censés garantir que l'aviation contribue efficacement aux objectifs climatiques de l'UE de zéro émission nette d'ici 2050.

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O. J. : Nous avons un groupe de travail sur l'accréditation carbone des aéroports au sein d'ACI Europe, qui rassemble des aéroports du monde entier. Une réunion s’est tenue en octobre 2022. Elle a permis de définir les exigences pour le niveau 5. Je pense qu'en ce qui concerne les émissions de scope 1 et 2, c'est assez simple. Il faudra également prendre en compte les technologies renouvelables qui ne sont pas nécessairement matures. Une étude est en cours afin d’examiner toutes les solutions en développement concernant la séquestration du carbone et la manière dont elles peuvent ensuite être prises en compte pour définir le niveau 5, puis permettre d’établir qu'un aéroport a atteint la zéro émission nette.

Le deuxième défi concerne les émissions de scope 3, c’est-à-dire provenant des tiers. C’est un sujet particulièrement difficile car les aéroports doivent adresser des émissions qui ne sont pas directement sous leur contrôle. Nous accompagnons nos membres pour les aider dans cette voie. Par ailleurs, il nous reste à définir dans quelle mesure les émissions de scope 3 conditionnent la labélisation zéro émission nette. Il nous faut à la fois réussir à assouplir les exigences du niveau 5 à cet égard et maintenir sa crédibilité.


Cet entretien, réalisé par aéroport lemag, est proposé aux lecteurs du blog de Genève Aéroport avec la bienveillante autorisation de la rédaction du magazine.

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