Pour faire face à la croissance du trafic aérien international, les Européens se sont regroupés en 1999 dans le projet de «Ciel unique européen» (Single European Sky, SES). Cette réforme, à laquelle la Suisse participe, a pour objectif de fluidifier le trafic aérien en Europe. Comment? En abandonnant un système fragmenté pour aller vers une gestion collective de l'espace aérien. A la clé: un gain de temps, des trajectoires plus directes et une baisse notable des émissions de CO2. Pourquoi cette initiative, lancée il y a plus de 20 ans, est actuellement au point mort? Décryptage.

Harmoniser pour fluidifier le trafic

L’architecture actuelle de l’espace aérien en Europe se fonde sur les frontières nationales. Depuis la convention de Chicago en 1944, chaque pays a autorité au-dessus de son territoire et dispose d’un organisme pour gérer le trafic aérien dans la partie de ciel qui lui  «appartient».

Face à cet espace fragmenté, les Européens ont imaginé le «Ciel unique européen» (Single European Sky, SES). Objectif: gérer l’espace aérien selon les flux de trafic et non plus selon les souhaits des compagnies aériennes et les frontières des Etats. L’idée est de mutualiser les systèmes de contrôle à la circulation aérienne afin de les rendre plus efficaces. La construction du ciel unique doit passer par des mesures techniques et opérationnelles communes, mais aussi par une gestion collective de l’organisation de l'espace aérien.

Ce projet, en cours de mise en œuvre, n'est pas achevé. Deux «paquets» législatifs ont été adoptés en 2004 puis 2009.

Depuis, la réforme du Ciel unique européen peine à trouver une adhésion parmi les Etats membres du l'Union.

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Centraliser le contrôle aérien … 

Concrètement, comment serait organisé le Ciel unique européen ? Le projet initial de la Commission européenne prévoyait de passer par la création de blocs d'espace aérien fonctionnels (FAB, Functional Airspace Blocks) qui subdiviseraient le ciel européen en fonction des flux de trafic. Des portions complètes d’espace aérien d’un Etat seraient donc gérées de façon commune selon un modèle laissé à la discrétion des Etats faisant partir d’un bloc.Les 28 blocs nationaux actuels seraient tous remplacés par un réseau de 9 blocs régionaux (FAB). La Suisse fait partie du FAB Europe Centrale avec l’Allemagne, la Belgique, la France, le Luxembourg et les Pays-Bas. Les blocs ont déjà été créés mais n’ont jamais été véritablement opérationnels.

... pour fluidifier le trafic 

L'établissement de règles communes et une meilleure coopération entre les centres de contrôle aérien pourraient s’avérer considérables selon la Commission européenne:
  • Itinéraires de vol optimisés
La réforme permettra une meilleure coordination des flux et des routes plus directes avec des temps de vol plus courts et le moins de détours possibles. Selon la Commission européenne, la distance moyenne des vols est aujourd’hui allongée de 42 kilomètres avec le système actuel est fragmenté. Les trajectoires sont déterminées non pas selon un chemin direct mais en suivant les routes définies par l’Etat survolé, ce qui rallonge les itinéraires.
Par exemple. pour un vol Bruxelles-Genève, la réforme permettrait de réduire de 26% la distance parcourue (670 km aujourd’hui contre 530 km avec le Ciel unique). 
 
  • Fluidité du trafic
Le Ciel unique permettra d’éviter les retards et une saturation de l'espace aérien. En 2022, les retards dans le ciel aérien ont de nouveau progressé. Eamon Brennan, le directeur de l’organisme européen Eurocontrol spécialisé dans l’aviation, a constaté que les vols intra-européens ont souffert en juin d’un retard moyen de trois minutes 30 imputable au contrôle aérien, contre moins de 30 secondes en mars dernier.

«Le système n’est plus en mesure de gérer le trafic», a confié Eamon Brennan à l'AFP.

  • Coûts des vols revus à la baisse
Selon la Commission européenne, la fragmentation de l’espace aérien européen en 28 espaces nationaux entraîne chaque année des surcoûts de l’ordre de 5 milliards d’euros pour les compagnies aériennes et leurs clients.
  • Baisse des émissions polluantes
La distance moyenne des vols rallongée se traduit logiquement par une augmentation de la consommation de kérosène et donc des émissions polluantes plus élevées. Le Ciel pourrait permettre de consommer 10% de carburant en moins sur chaque trajet. 

Et la Suisse dans tout ça?

En 2006, le Conseil fédéral a approuvé la participation de la Suisse au Ciel unique européen. Dans ce projet, la Suisse bénéficie de nombreux atouts: 
  • Situé aux croisements de deux axes aériens majeurs, est-ouest et nord-sud, l'espace aérien suisse est particulièrement dense. «Skyguide contrôle un espace aérien réputé comme le plus complexe d’Europe», explique Thomas Buchanan, chef adjoint des affaires internationales chez Skyguide.
  • Skyguide surveille l’espace aérien au-dessus de la Suisse mais aussi des portions de ciel de l’Allemagne, de l’Autriche, de la France et de l’Italie. À l’inverse, une partie du ciel aérien suisse est contrôlé par les services italiens (région luganaise) et français (aéroport EuroAirport Bâle-Mulhouse).

  • Depuis 2001, le service civil et le service militaire de la navigation aérienne sont réunis et gérés par Skyguide, ce qui est un exemple unique en Europe. 

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Les obstacles au Ciel unique européen

La réforme du Ciel unique européen n’est pas achevée et le dossier est au point mort. Les Etats peinent à trouver un compromis sur le futur dispositif.

Le blocage politique réside dans le fait que le découpage des FAB touche à des enjeux de souveraineté, de collaborations multilatérales et de concurrence entre services de la navigation aérienne. Les aiguilleurs du ciel craignent notamment une détérioration de leurs conditions de travail, voire des licenciements.

«On voit qu’après deux ans de Covid, le trafic reprend mais que les problèmes sont toujours les mêmes. Une réforme est nécessaire. Le ciel unique européen est la seule solution mais des compromis seront nécessaires. Le projet a besoin d’un nouveau souffle», constate Gaël Poget, délégué aux affaires extérieures à Genève Aéroport.

Les compagnies aériennes sont quant à elles demandeuses de réformes en matière de contrôle aérien. Elles comptent en effet sur des avancées technologiques, des carburants renouvelables et sur le ciel unique pour réduire leurs émissions de Co2 et ainsi remplir leurs engagements climatiques.

«Nous sommes consternés et frustrés par l'absence continue de progrès sur le Ciel unique européen. La réticence de certains États membres à faire des compromis et à contribuer à la réforme de notre système coûteux et rigide est préoccupante» estime Thomas Reynaert, directeur général de l’association Airlines for Europe (A4E).

Skyguide soutient lui aussi l’initiative.

«Harmoniser le système actuel et le réseau aérien est une très bonne chose. La mise en place de l’extension du Ciel unique européen est bloquée aujourd’hui car il reste trop ambitieux. Les compromis à faire sont trop importants et les implications opérationnelles et technologiques potentiellement lourdes pour les partenaires», décrypte Thomas Buchanan, chef adjoint des affaires internationales chez Skyguide.
 

 

Auteur

Anne-Elisabeth Celton

Rédactrice