Un accord a été trouvé mercredi 26 avril entre eurodéputés et États membres de l'UE afin de réduire l’empreinte carbone du transport aérien. Un taux minimum de carburants aériens durables (aussi appelés SAF,) sera imposé pour les avions au départ du continent.

Le secteur aérien est aujourd’hui responsable de 2 à 3% des émissions mondiales de C02. Ce texte, qui doit encore être ratifié par le conseil et le parlement, doit permettre de réduire d'environ deux-tiers les émissions de CO2 du transport aérien d'ici à 2050.

Le taux d'incorporation commencera à 2 % par année à partir de 2025, puis passera à 6 % en 2030 pour monter à 70 % d'ici à 2050, date à laquelle le secteur aérien s’est engagé à atteindre la neutralité carbone (zéro émission nette de C02). 


Les carburants aériens durables, c’est quoi?

Les carburants d'aviation durables (SAF), fabriqués à partir de ressources durables, sont un substitut du kérosène. Leur utilisation permet de réduire les émissions de CO et de particules fines.

Pour l’Association du transport aérien international (IATA), leur utilisation constitue la principale solution à court terme pour atteindre l’objectif de neutralité carbone du secteur.

 

On distingue plusieurs catégories de SAF :

•    Les biocarburants
Les biocarburants sont fabriqués à partir de déchets alimentaires ou agricoles ou encore grâce à la biomasse.  Sucre d’amidon, sciure de bois, eaux usées ou même huile de cuisson usagée permettent de fabriquer ce carburant vert. 

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•    Les carburants de synthèse

Il s'agit d'utiliser de l'hydrogène, produit par électrolyse, et de capter du CO2 dans l'atmosphère. En recombinant les deux, on obtient un carburant imitant le kérosène d'aviation. Pour que ce carburant soit durable, encore faut-il que l’électricité nécessaire pour le produire soit elle aussi décarbonée. De facto, les prix des carburants de synthèse sont très élevés.

« À moyen et long terme, les carburants de synthèse sont une alternative intéressante par rapport aux biocarburants. Les ressources nécessaires à leur production sont pratiquement inépuisables. Le problème, c’est l’énergie nécessaire à leur production et les coûts en comparaison avec le système de l’énergie fossile », explique Theo Rindlisbacher de la section Environnement à l’Office fédéral de l’aviation civile (OFAC).

Autre catégorie: les carburants solaires. En Suisse, la société Synhelion travaille sur un projet prometteur. Elle s’appuie sur un processus faisant réagir du dioxyde de carbone et de l’eau, extraits de l’air, pour les transformer en un gaz de synthèse grâce à la chaleur du soleil. Elle s’est fixée un objectif de 875 millions de litres par an pour 2030, soit la moitié des besoins annuels de la Suisse en carburant d'aviation.

 

Comment les SAF sont-ils utilisés?

Actuellement, les vols commerciaux ne sont encore autorisés qu’avec un taux maximum de 50 % de SAF mélangé au kérosène. Le carburant vert, une fois mixé, présente l’énorme avantage de pouvoir être utilisé dès maintenant. Il ne nécessite pas de modifications des moteurs des avions ou des infrastructures aéroportuaires. 

Pour atteindre la neutralité carbone d'ici 2050, IATA a prévu un échéancier ambitieux avec une augmentation progressive des SAF mélangés au kérosène traditionnel:  2% en 2025 jusqu’à 65% en 2050.

Le défi pour les avionneurs est désormais de mettre au point un appareil pouvant voler avec 100% de SAF. Boeing s'est engagé à livrer, d’ici 2030, des avions commerciaux certifiés pour voler uniquement au SAF d'ici 2030. 

En mars 2021, Airbus a effectué un premier vol en A380 alimenté exclusivement en biocarburant produit principalement à partir d’huile de cuisson et continue ses essais.

 

Les bienfaits pour l’environnement?

Les carburants aériens durables permettent de réduire l’empreinte carbone de 80% par rapport aux carburants fossiles. Ils ont également un impact sur la qualité de l’air local. Ils peuvent entraîner une réduction allant jusqu'à 90 % des particules fines et une suppression des oxydes de soufre. 

Par contre, les SAF ne permettent pas d’éliminer l’ensemble des émissions polluantes et réchauffantes, comme le protoxyde d'azote ou la formation de trainées de condensation.

«Les deux-tiers du réchauffement climatique associé à l'aviation ne sont pas liés au C02 mais aux polluants climatiques de courte durée de vie, tels que le protoxyde d’azote (NOx), la vapeur d’eau ou les formation de nuages. Même avec les SAF, ils ne disparaîtront pas. Seule une stabilisation du trafic, ou une baisse, permettrait de diminuer leur concentration et donc leur pouvoir réchauffant», explique Romain Sacchi chercheur à l’Institut Paul Scherrer.

Quels sont les freins?

L’utilisation du SAF à l’échelle industrielle ne s’est pas encore réalisée en raison d'une production encore embryonnaire et du coût élevé de ce carburant de substitution.

•    Le prix
Les carburants de synthèse ont des prix jusqu’à dix fois plus élevés que le kérosène. Les biocarburants sont quant à eux trois à quatre fois plus chers. 

•    La disponibilité
En 2021, les carburants durables ont représenté plus de 450 000 vols effectués et plus de 100 millions de litres de SAF ont été produits. L'industrie aura probablement besoin de quasiment 500 millions de tonnes de SAF par an d'ici 2050. 

L’augmentation de la production, à l’échelle industrielle, est un donc un défi de taille.

Qui utilise les carburants durables?

Plusieurs organismes font aujourd’hui la promotion des SAF. C’est notamment le cas de l’Organisation de l'aviation civile internationale (OACI) qui s'efforce de faciliter le développement et le déploiement de ces carburants. Elle a d’ailleurs établi une carte des aéroports proposant aux compagnies aériennes des carburants d'aviation renouvelables. À l'heure actuelle, une cinquantaine de plateformes, situées principalement en Europe et Amérique du Nord, en proposent de manière continue. 

•    Union Européenne
Le Conseil européen des Transports a adopté en juin 2022 l’initiative ReFuelEU Aviation, qui fait partie du Paquet Climat, aussi appelé «Fit for 55», proposé par la Commission Européenne.

Le 26 avril 2023, eurodéputés et États membres de l'UE se sont mis d’accord sur un texte (qui doit encore être ratifié) visant à réduire l’empreinte carbone du transport aérien. Un taux minimum de carburants aériens durables sera imposé pour les avions au départ du continent. Le taux d'incorporation commencera à 2% par année à partir de 2025, puis passera à 6% en 2030 pour monter à 70% d'ici à 2050. 

L'accord prévoit une part minimale de 1,2% de carburants de synthèse dans le kérosène fourni par les aéroports européens en 2030-2031. Cette part atteindra 2% en 2032-2034, puis 5% en 2035, avant d'atteindre 35% en 2050.

Au sein de l’Union Européenne, certains pays sont plus avancés que d’autres en la matière. Les pays scandinaves ont imposé une incorporation de 30% d'ici à 2030, et les Pays-Bas tablent eux sur 14%. 

En Europe, la compagnie Neste, contrôlée par l’État finlandais, semble parmi les plus avancées. Elle assure qu’elle sera capable de fournir 1,5 million de tonnes de SAF en 2023 depuis ses raffineries de Finlande et de Singapour. «Neste sera en mesure, à elle seule, de fournir les 2% de carburants aériens durables requis dans le cadre de l’initiative ReFuelEU Aviation», a affirmé  Thorsten Lange, vice-président exécutif pour l’aviation renouvelable de Neste, en mai 2022.

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En Allemagne, l’entreprise BP a commencé à produire des SAF dans sa raffinerie de Lingen en traitant des huiles de cuisson usagées et du pétrole brut. Il s’agit de la première installation industrielle en Allemagne à produire du SAF à partir de biomasse provenant de déchets et de résidus.

•    Etats-Unis
Aux États-Unis, le Sustainable Skies Act de 2021 vise à stimuler l’utilisation des carburants durables par le biais de subventions. 

Et en Suisse?

•    Harmonisation avec l’Union Européenne
La révision de la loi sur le CO2 a été refusée lors de la votation populaire du 13 juin 2021. Le Conseil fédéral travaille sur une nouvelle révision qu'il soumettra probablement prochainement au Parlement. 

Le texte s’aligne sur la réglementation européenne, avec une obligation pour les fournisseurs de carburant d’incorporer une quantité minimale de SAF (2% en 2025) au kérosène d’aviation. Il pourra s’agir de biocarburants (uniquement à partir de déchets) ou de carburants de synthèse (avec de l’énergie renouvelable et en captant du CO2 de l’atmosphère ou par exemple émis par des usines, comme les stations d’épuration).

Cette nouvelle mouture prévoit également un fonds de 25-30 millions de francs par année pour soutenir financièrement des entreprises innovantes en la matière. La Confédération entend utiliser ces fonds pour renforcer le pôle de recherche et d’innovation. 

Aujourd’hui, il n’existe pas de capacité de production industrielle de carburants aériens alternatifs dans le pays. Tous les SAF doivent donc être importés. Plusieurs projets de recherche sur les carburants alternatifs sont par contre en cours.

•    SWISS, une compagnie engagée
La compagnie aérienne Swiss International Air Lines a mis en place en 2021 une toute première chaîne logistique intégrée pour l’importation de carburant durable d’aviation en Suisse.

La compagnie SWISS soutient par ailleurs la recherche dans le domaine du carburant solaire. Elle a signé, avec Lufthansa, un partenariat avec la start-up suisse Synhelion . En mars 2022, Dieter Vranckx, Chief Executive Officer de SWISS, a annoncé vouloir «être la première compagnie au monde à voler avec du carburant solaire».

•    Genève Aéroport prêt à s’adapter
Genève Aéroport a planché, fin des années 2000, sur un projet biofuel, qui ne s’est pas concrétisé, faute de financements. Quoi qu’il en soit, la plateforme est prête à revisiter ses objectifs si cette technologie avance et à adapter son infrastructure, notamment afin de stocker les carburants.  

« Décarboner l’aviation, ce n’est pas seulement le problème des compagnies ou des aéroports mais de tout le secteur aérien. Aujourd’hui, nous avons les cartes en main pour atteindre les objectifs. Hormis les changements de technologie, le reste n’est pas insurmontable », explique André Schneider, Directeur général de Genève Aéroport. 

Quel avenir pour les SAF?

Pour parvenir à une aviation neutre en carbone d’ici 2050, il faudrait 500 millions de tonnes de SAF en circulation. La production actuelle s’élève à 100 millions de litres par an.

«Il est peu probable que l’on parvienne à produire suffisamment de SAF à très bas carbone en quantité suffisante d’ici 2050. Pour autant, ces objectifs ambitieux ont l’avantage de faire bouger les lignes du côté du monde politique et de la recherche», note Romain Sacchi, chercheur à l’Institut Paul Scherrer.

Un engagement encore accru des compagnies aériennes, de l'industrie, des gouvernements et des scientifiques paraît nécessaire.

«Il existe un large éventail de politiques pour soutenir les SAF », détaille Michael Yaziji, professeur à l’IMD (International Institute for Management Development).  « On peut citer les taxes sur l'utilisation des carburants traditionnels, l’obligation d’incorporer une part minimale de SAF dans le kérosène, des subventions pour la recherche, le développement, la production et l'utilisation.»

L'émergence de filières pour une production à grande échelle, en Europe, devrait permettre de réduire les coûts. Ces dernières années, les projets de production se multiplient et laissent présager une augmentation des SAF dans le secteur de l’aviation. 

L’implication des avionneurs pour concevoir des moteurs capables de supporter 100 % de SAF est également encourageante. 

Les spécialistes s’accordent à dire que la solution permettant d’atteindre une aviation la plus décarbonnée possible sera multiple. En attendant l’arrivée des avions électriques ou à hydrogène, elle résidera dans un mix entre :
-    les biocarburants et les carburants de synthèse
-    les avions de nouvelle génération, moins bruyants et moins polluants
-    la réforme du Ciel unique européen pour limiter les émissions de Co2 


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Auteur

Anne-Elisabeth Celton

Rédactrice