Le secteur aérien s’est fixé comme objectif d’atteindre la neutralité carbone en 2050. L'électrification des avions se présente comme l’un des moyens de relever ce défi. Entretien avec André Borschberg, co-fondateur de Solar Impulse, aujourd’hui à la tête de H55. La société valaisanne a pour mission de développer la propulsion électrique et faire émerger une nouvelle forme d’aviation propre.

Avec Bertrand Piccard, vous avez réalisé le premier tour du monde aérien sans carburant à bord de l’avion solaire Solar Impulse. Quel a été l’impact de ce projet sur le secteur aérien?

Les réflexions autour de la mobilité électrique se sont multipliées dans les années 2010. Tesla a fait figure de pionnier dans le secteur automobile. Dans le monde aérien, je pense que Solar Impulse a joué un rôle prépondérant avec ses premiers vols réalisés en 2009. Solar Impulse, qui est un avion électrique propulsé à l’énergie solaire, a, selon les retours que nous avons eu, marqué les esprits et montré que l’aviation propre était possible. Le projet a ouvert de nouvelles perspectives!

Vous co-pilotez aujourd’hui H55, une société qui conçoit des systèmes de propulsion électrique pour les avions. Sur quels projets planchent vos équipes?

H55 est dans la continuité directe de Solar Impulse. La start-up s’est lancée en 2017 dans un programme de conception, développement, production et certification de solutions de propulsion électrique pour avions. Nous avons déjà fait voler quatre avions électriques comptabilisant plus de 48’000 km parcourus. Par exemple, le biplace Bristell Energic, propulsé par la technologie de H55, a une endurance de 90 minutes sans utiliser une seule goutte de carburant, certification prévue en 2024! 

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Nous travaillons également sur le développement d’un kit de conversion électrique des avions Piper Archer, dédiés à la formation des pilotes. Tout comme cela existe déjà pour les autobus, la solution Rétrofit est un bon moyen de transformer rapidement des avions. 

Avec la compagnie Harbour Air, plus grand opérateur d’hydravion en Amérique du nord, nous collaborons sur un projet d’électrification d’un hydravion De Haviland Beaver. H55 délivrera son système de stockage d’énergie afin de convertir la flotte d’hydravion, utilisé pour des vols commerciaux régionaux, en une solution toute électrique.

Enfin Pratt & Whitney Canada, leader mondial dans le design, la production et le service de motorisation pour aéronefs et hélicoptère, a commissionné H55 pour le développement du système de stockage d’énergie dédié au son programme de démonstration de vol d’un aéronef de transport régional hybride-électrique, basé sur le De Havilland Dash-8.

L’avion tout électrique est-il l’avenir de l’aviation?

Oui, mais ce n’est pas la seule technologie prometteuse. Tout dépend du type d’aviation! À court terme, on peut tout à fait envisager des petits avions 100% électriques. Prenons l’exemple de l’aéroclub de Lausanne. Il pourra former ses élèves pilotes sur un appareil 100% électrique, propulsé par la technologie de H55. Il pourra se recharger grâce à l’électricité verte produite par les cellules photovoltaïques installées sur les toits des hangars de l’aéroport lausannois. Imaginez la différence que cela ferait si tous les aéroclubs se mettaient à l’électrique! Cela aurait un impact réel en termes de pollution, mais aussi de bruit pour les riverains.

Maintenant, si l’on parle de l’aviation régionale, il est plus réaliste d’envisager une solution hybride dans un premier temps, puis électrique à l’horizon 2030. 

Enfin, en matière de vols long-courriers, la piste la plus prometteuse et réaliste me semble être celle de l’hydrogène d’ici une vingtaine d’années. C’est-à-dire demain! Avant d’y parvenir, le chemin sera probablement hybride et les carburants aériens durables (SAF) auront très certainement un rôle à jouer.

Il n’y a donc pas qu’une seule solution pour décarboner l’aviation, mais plusieurs. 

Le secteur aérien fait-il assez d’efforts pour décarboner sa branche?

Non, mais à sa décharge, il ne peut y parvenir seul. Il faut des investissements massifs dans la recherche et l’innovation pour parvenir à une aviation propre d’ici 2050. Les processus de certifications sont essentiels mais complexes et exigeants. Les investisseurs privés, qui ne peuvent espérer des rendements à court terme, s’en détournent. Un support étatique est essentiel. 

Mais les investissements ne sont qu’une partie de la solution. Il faut également modifier des aspects réglementaires. Imaginez qu'aujourd’hui les petits avions électriques n’ont pas l’autorisation d’atterrir sur les aéroports nationaux comme Genève et Zurich en raison d’une ordonnance du DETEC*! La législation suisse doit avancer au même rythme que l’innovation afin de l’encourager et non la freiner.

Le secteur aérien peut-il réduire son empreinte carbone sans décroître? 

Oui, et il est possible d’agir autrement. Une mesure juste et utile serait d’établir une taxe CO2 sur les billets d’avion. Est-il normal qu’un vol coûte parfois moins cher que le même trajet en train? Non évidemment. Les tarifs devraient refléter la pollution engendrée. Cette taxe pourrait financer des programmes actifs dans la recherche sur le transport aérien propre. 

*Département fédéral de l'environnement, des transports, de l'énergie et de la communication (DETEC)

 

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Auteur

Anne-Elisabeth Celton

Rédactrice